mercredi 30 juin 2010

La pesée du plus malin

L'hiver anormalment pluvieux qu'a supporté l'Andalousie a eu des conséquences dramatiques sur les semailles d'automne. Les trente-deux hectares semés en blé à Mirandilla n'ont pas échappé au désastre. Totalement noyés pendant plusieurs semaines, les poussent se sont pourries et n'ont pas atteint la maturité nécessaire à leur récolte.
C’est un dur revers économique pour l'équilbre financier de l'exploitation. Mais, contre mauvaise fortune bon cœur, il est décidé de couper les blés, d'emballer et de se procurer ainsi la réserve de foin indispensable pour un été qui s'annonce particulièrement long et sec.

Contact est pris avec un faneur professionnel. Fixé le tarif de la sous-traitance, il reste à déterminer le rendement en foin de cette parcelle. La rémunération se calculera au kilo récolté. N'ayant pas sur place la possibilité de peser réellement la production, il faut établir le poids moyen d'une balle de foin, qui servira d'étalon de mesure pour calculer le poids d'un paquet, composé de quatorze balles. Le nombre de paquet est lui indiqué par le compteur automatique de l'emballeuse.

Rendez-vous est pris avec Juan, pour le lendemain à la fraîche, à 6h30. Juan est bien comme sa voix au téléphone me l'indiquait. Soixante-quinze ans, accent andalou du campo à couper à la faucheuse, un regard malicieux fuyant et toute une vie à faire de la paille. Pensez donc, il se met à énumérer les mayorals qu'il a connu à Mirandilla et la liste est interminable. Je sais, dès que je serre sa main rugueuse et crevassée, que je vais me faire avoir. Oh, pas beaucoup, car ses yeux renvoient un fond de noblesse, mais un peu, juste le nécessaire pour rentabiliser son négoce familial.
On décide de ramasser quelques ballots de foin au sol. Combien?
- deux! annonce Juan.
Je m’inquiète, cela me paraît peu.
- pourquoi pas vingt, le résultat serait plus juste?
Ok pour douze. Pourquoi douze, je n’en sais fichtrement rien. Comme imcomprehensible l’explication de devoir toujours choisir un nombre pair … Pourtant, Juan a bien tenté d’argumenter cinq bonnes minutes!

On chemine dans le champs, entre les cinq mille balles de foin. Lesquelles prendre? Je me doute qu’il peut exister des différences de 5 à 6 kilos par bottes et sur une telle quantité, l’incidence économique n’est pas négligeable. Longueur de la tige, poids de l’épi, densité des grains, nombre de feuilles; zone en pente, en hauteur, en contre-bas, plus au moins exposée au soleil, au nord, au vent … Tant d’éléments que je ne maîtrise pas mais qui interviennent.
- on prend celle-là me dit Juan.
- non, l’autre, juste à côté.
Pourquoi celle d'à côté? Aucune raison logique, simplement pour ne pas me laissez faire d’entrée. La suivante me paraît beaucoup plus lourde. Une rapide inspection me donne l’explication : de gros cailloux y sont incrustés. Juan se défend. Il ne s’en été pas rendu compte.
Soudain, une évidence : peser tôt le matin, à la fraîche, avec la rosée de l’aube avantage le faneur. Le foin est plus lourd. Peser en pleine après-midi, à 35º aurait donné un autre résultat, plus à l’avantage du mayoral. Je fais cette remarque à Juan qui me répond qu’il est trop tard, qu’il ne peut revenir plus tard. On pèse maintenant ou jamais!

La pesée se fait sur la balance des taureaux, dans les corrals des arènes. Deux balles à la fois. Attention de bien répartir le poids sur le plateau. Un bout de pied sur le plateau et ce sont quelques grammes de gagnés …
- oh pardon me dit Juan, j’avais pas fait attention, son visage illuminé d’un sourire angélique.
Il faut ensuite bien lire les chiffres sur le fléau.
- on n’y voit rien ici, se plaint Juan, ça marque bien 61,5 kilos?
- non Juan, regarde bien, ce sont 60,5 kilos.
- ah oui? C’est qu’à mon âge, sans mes lunettes…
Cela s’appelle avoir une vue sélective.

Les douzes bottes sont pesées. Il faut en faire la moyenne. Ma calculatrice de poche a vite fait les additions et la division idoines. Juan n’a aucune confiance en ce matériel moderne. Il prend son petit carnet, un crayon à papier dont il mouille la mine en y crachant grassement dessus et effectue son prore calcul en cachette. Modernité et tradition se rejoignent. Juan est presque étonné que ma calculatrice ait pu donner le même résultat que lui! 28,8 kilos par balle de foin.
- ce n’est pas un chiffre rond s’exclame-t-il, disons 29 kilos.
- et ben tiens … et pourquoi pas 28?
Je sais que j’exagère en proposant ce poids, mais cela fait partie du jeu, je dois me forcer. On coupe la balle en deux. Ce sera 28,5 kilos la pièce. Combien pèse le paquet de 14 balles? Nouveau combat entre calculatrice et carnet. Je ne peux m’empêcher d’admirer la justesse de calcul de cet homme quasiment analphabète, qui tarde un éternité pour tracer en tremblotant les chiffres sur son papier. Il a le temps de le faire. Il a toujours eu le temps de le faire. Pourquoi se presser aujourd’hui? On arrive à 399 kilos par paquet. Timide tentative de Juan de rogner à 400, mais sans trop insister. C’est là que je comprends que pour Juan, la pesée a été un succès. Sinon, il m’aurait convaincu d’arrondir à 400.

En mon for intérieur, je sais que Juan m’a eu. Pas énormément, mais il m’a eu. C’était important pour lui. Son honneur est sauf.
Quant à moi, j’ai sauvé la face. L’arnaque n’a pas été trop rude. Enfin, je crois … L’année prochaine, il m’aura moins car j’ai compris des tas de trucs de campo que les écoles agricoles n’inculquent pas. Ne dit-on pas se faire rouler dans la farine … de blé?
N’allez surtout pas déduire que Juan est malhonnête. Il n’aurait pas tenu tant d’années dans cette profession. Il est simplement un homme de campo qui se devait de profiter de l’innocence du nouveau mayoral, franchute* de surcroît.

* franchute : terme péjoratif en Andalousie pour désigner un français

vendredi 18 juin 2010

Huit mois

Mirandilla, novembre 2009
Un novillo armé
Ce message, huit mois après notre visite dans le campo en compagnie de Fabrice, comme guide, comme passionné, à profiter d'une belle journée dans cet univers qui impose respect et silence.

Merci pour cette découverte, qui restera longtemps gravée dans ma mémoire.

A quand la première novillade en france?

A quand la renaissance du Marquis d'Albaserrada?


Salutations.



Sabine et Philippe Bouton

samedi 12 juin 2010

Les cinq Gersois

Merci de transmettre à Fabrice Torrito tous nos remerciements pour la matinée de mercredi que nous avons passée à visiter la ganaderia d'Albaserrada.

Nous avons apprécié ses explications généreuses, passionnées et passionnantes.

Nous ne manquerons pas d'en faire part à nos amis aficionados.

Les cinq Gersois vous adressent tous leurs voeux de réussite dans votre entreprise.


Christian Dall.

mardi 8 juin 2010

L'élégance du Marquis

Antoine Beauchamp est un jeune géographe qui s'est installé pour un an à Séville, pour rédiger un mémoire d'études sur l'élevage des toros bravos.
Il tient sur "Signes du Toro" le site internet de l'émission taurine de France 3, dans la rubrique "La Route des toros", le journal de cette aventure.



"Jeudi matin. Direction Gerena, ganadería du Marquis d’Albaserrada. Nous arrivons devant la grille. Derrière une haie vive de figuiers de barbarie sonnent des cloches. Les bœufs sont avec des novillos. Dans une encoche libre d’épines, j’aperçois un novillo armé, debout sous la chaleur qui plombe ce mois de juin. Le thermomètre de la voiture affiche 30°, il est neuf heures et demie. La campagne du Nord de Séville s’apelle dehesa et elle a quelque chose de divin, d’olympien. Le toro est ici chez lui, cette terre est sa terre et debout sous le soleil il a les yeux mi clos. Notre hôte,
Fabrice Torrito arrive et nous ouvre la grille de la Mirandilla. Nous le suivons dans l’allée où se lève la poussière. Des eucalyptus monumentaux nous surplombent. Nous discutons en descendant de voiture. Nous nous dirigeons vers l’écurie. Nabuco, l’un des chevaux de l’élevage se tient dans son box, il est noble, il a de l’allure. Puis nous suivons Fabrice jusqu’à son bureau. Une salle ouverte et fraiche qui sent la sellerie, le cuir tanné, où cohabitent des chapeaux cordouans, des bottes, des selles, et un bureau avec un petit ordinateur réunissant toutes les données de l’élevage. Ca y est, je vois enfin ce rêve d’élevage andalou. Je lui fais part de mon admiration pour son cadre de travail bien loin des open space à la new yorkaise où celui qui a une cravate ressemble à son voisin qui a lui aussi une cravate et où l’on parle, pour faire passer le temps, du nouveau modèle d’écran plat qui viendra combler les soirées solitude-plateaux repas. Fabrice Torrito me dit « Au moins ça vit ». Que faire sinon acquiescer ? Les hirondelles plongent dans la cour en sifflant.

Nous discutons de la situation de l’élevage, celui d’Albaserrada et de l’élevage en général. La maison Albaserrada est à un tournant décisif. Après avoir connu des années de pente glissante, l’heure est à la réaction. Fabrice Torrito nous explique son intention de retrouver le toro qui a fait la gloire de l’élevage, le toro-toro, pas le toro fade que l’on croise souvent sur nos sables. L’ambition torista est affirmée sans dogmatisme excessif. La confiance sereine et modeste de Fabrice Torrito force le respect. Nous sommes loin des projets fous qui mènent les élevages aux moyens dantesques à cloner des animaux, car oui, c’est fait, chez Guardiola un étalon âgé de 15 ans a été cloné. La chose reste rare.

Puis dans la cour de la maison de maître, de la plus grande des élégances, nous parlons de ses débuts en tant que mayoral dans l’élevage il y a de cela quinze mois. Des jalousies, des rancœurs, un sentiment grégaire, ont inspiré à certains idiots les gestes les plus bas qui soient pour empêcher Fabrice Torrito de démarrer son travail. Insultes, graffitis, menaces par téléphone, incendie criminel du hangar où étaient entreposées 120 tonnes de fourrages, telle fut l’ambiance de la prise en main d’un élevage andalou par un non andalou. La tempête a passé et Fabrice Torrito est resté en place. Il m’explique que sans le tourisme, l’élevage ne survivrait pas. Les toros d’Albaserrada étant hors des canons actuels imposés, l’enjeu est de s’engager dans une voie torista afin de retrouver le chemin des arènes.

Nous partons visiter la dehesa généreuse où le bétail peut encore se nourrir après les pluies diluviennes de cet hiver. Nous voyons les novillos, puis les añojos, toros de un an et les erales, toros de deux ans. Pour l’heure, seuls des lots de novillos sont prévus. Le but est de remonter une ganadería à partir de ses qualités de départ. Plus les résultats sont connus rapidement, mieux cela vaut. Le seul et unique révélateur des décisions prises est ce temps précieux qui serre le cou des élevages en reconstruction.

La dehesa est belle, les oliviers sauvages, les chênes verts, les chênes lièges, les genêts, les eucalyptus, le thym, le fenouil sauvage, cette nature sauvée du goudron émane de mille odeurs sous le soleil et la brise de juin. Nous voyons les étalons, les vaches, puis retournons jusqu’aux bâtiments de l’élevage. La plaza de tientas a des allures de friandise dans sa rondeur coquette.

Nous allons nous mettre à l’ombre. En arrivant sur le seuil de la maison de maître, j’aperçois en contrejour l’ombre d’un homme avec un chapeau à bord plat. Il s’avance et nous salue dans un français roulant des plus chics. Le Marquis d’Albaserrada reçoit. Déjà âgé, cet homme garde la dignité des rares personnes nées pour être élégantes en toute circonstance. Son pas, même s’il est parfois mal assuré, est sans heurs. Il a le regard d’un éternel poète qui, sur toute chose, porte un jugement distingué, sans bassesse. N’osant pas le prendre en photo de face comme s’il était une fleur dans une serre ou une starlette géranium dans un pot de papier glacé, j’attends qu’il s’éloigne. Il s’arrête sur le pas de sa porte. Regarde cette cour qu’il a traversée de nombreuses fois. Les sentiments se croisant dans la tête de cet homme doivent être nombreux, peut-être sont-ils ceux d’un doux naufrage, celui de la vieillesse qui saisit toujours les téméraires qui osent s’y frotter.

En le voyant de dos, son chapeau mis de côté, les manches retroussées, les mains dans les poches, le dos droit, je ne parviens à me dire qu’une seule chose : l’élégance du Marquis.
L’élégance du Marquis et la ténacité de Fabrice Torrito me rassurent. L’élevage de braves peut continuer à exister. Mais son élégance et sa diversité sont fragiles comme cet homme âgé et à la merci des inconséquents pyromanes de tout type. Alors, parlons en pour que ses remparts ne se craquèlent pas trop."




Texte et photos d'Antoine Beauchamp.


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jeudi 3 juin 2010

mercredi 2 juin 2010